.Journaliste à Alger, Adlène Meddi a recueilli le témoignage de Samir, un émeutier traqué qui n'attend plus qu'une chose : quitter son pays.
La cicatrice qui lui parcourt le cou dans l’obscurité de la planque frappe comme un cri de désespoir. Haletant, débit de paroles nerveux et regards paniqués, Samir*, 29 ans, vient d’échapper à une énième course-poursuite avec des policiers sur les hauteurs d’Alger. Il n’est qu’une masse de chair frémissante et meurtrie.
"Oui j’ai cassé, j’ai brûlé, j’ai caillassé", lance t-il en un souffle chargé de relents de whisky bon marché, arrangeant sans cesse sa casquette mise de travers à la mode "racaille". "Mais tout ça - il exhibe sa cicatrice puis son abri de fortune – c’est le consulat, mon frère, c’est le consulat !"
Entre trois et six morts
Depuis plus de trois jours, Samir et ses copains d’un quartier populaire perché sur une des collines d’Alger n’ont quasiment pas dormi. Ces jeunes de 25 à 30 ans ont fait éclaté leur colère - "non, notre désespoir", corrige Samir en plein entretien – lors des émeutes qu’ont connues Alger et sa périphérie depuis mercredi dernier. Emeutes qui ont fini par embraser le pays en entier, de la frontière marocaine à la frontière tunisienne. Une vague de colère sans précédent depuis les émeutes d’octobre 1988, fossoyeuses du régime du parti unique.
Officiellement, les autorités annoncent trois morts, mais des témoignages relayés par la presse privée évoquent un bilan plus lourd, entre quatre et six morts, ainsi qu’une centaine de blessés côté manifestants et plus de cinq cents du côté des forces de l’ordre.
Partout dans le pays, le mot d’ordre des émeutiers est le même : "Halte à la cherté de la vie !" Depuis début 2010, les prix de l’huile et du sucre (et des produits alimentaires dérivés) ont augmenté jusqu’à 40%, d’un coup. De plus, "l'inflation n'est pas de 4,5% comme le prétendent les autorités, selon l’économiste Abderrahmane Mebtoul, mais de 10%, et le chômage dépasse les 20%."
+ 50% pour les salaires des policiers
Plusieurs syndicats indépendants avaient prévenu, l’année 2011 serait chaude. La rue bouillonnait. D’autant qu’à la même période, le patron de la Sûreté nationale, l’ex-général-major Abdelghani Hamel, annonçait une augmentation des salaires des policiers de… 50%, avec effet rétroactif à partir de janvier 2008 ! "Et nous ? On crève comme des chiens alors qu’on n’a rien vu de l’argent du pétrole", éclate un père de famille rencontré dans un café de Bab El Oued, le mythique quartier populaire d’Alger, bastion des émeutes des derniers jours.