'où viennent les noms plus ou moins imagés et plus ou moins «romantiques» des opérations militaires?
En France, Le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), qui dépend de l'Etat-major des armées, est en charge de décider des noms donnés aux opérations dans le cadre de leur planification et de leur conduite. Le premier critère dans le choix est la neutralité: le but est de ne véhiculer aucune symbolique significative, pour montrer qu'il s'agit bien d'une planification militaire réfléchie et non d'une guerre idéologique.
Le CPCO s'assure même que le nom donné n'a aucune connotation négative dans le pays ou la région concernée avant de l'adopter. La France choisit ainsi souvent un nom d'animal de la faune locale ou une localité géographique. La mission française en Afghanistan s'appelle Pamir, du nom d'une chaîne de hautes montagnes de la région.
Nommer une opération répond aussi avant tout à une logique administrative: elle facilite l'ouverture d'un théâtre militaire, et constitue la première étape dans la planification d'une opération.
Mais toutes les opérations ne sont pas nommées de manière neutre. Avec le développement des médias de masse, le nom a pris une importance particulière: il peut à lui seul servir d'outil de communication, voire de propagande, une manière simple et efficace d'annoncer le but d'une guerre ou d'y attacher toutes sortes de symboles.
Justice sans limites
L'invasion américaine en Afghanistan est l'un des meilleurs exemples de l'importance du nom donné à une opération ou à une campagne. Deux semaines seulement après les attentats du 11 septembre, Washington a dû rebaptiser la campagne «Operation Enduring Freedom» (Liberté immuable), car le nom initial, «Operation Infinite Justice» (justice sans limites), véhiculait trop clairement la notion de revanche aux yeux du monde musulman. Ici le nom se rapporte explicitement au but de la mission. Un journal iranien avait suggéré le nom «Impérialisme infini» aux Américains, un terme qui définissait mieux selon lui les buts de l'opération. En annonçant le nouveau nom, Donald Rumsfeld avait indiqué qu'il reflétait également le fait que les Etats-Unis devaient s'attendre à une longue et dure campagne contre le terrorisme. Il ne croyait peut-être pas si bien dire.
Les noms des opérations américaines expriment tantôt donc l'idéologie («Opération Cause Juste» pour l'invasion du Panama), tantôt l'optimisme indéboulonnable d'Oncle Sam (le nom de code du coup d'Etat au Guatemala en 1954 était «Succès»), ou parfois des symboles animaliers plus obscurs qui font plutôt penser à des noms d'équipes de football américain (les opérations «Sea Tiger», «Dragon Fire», «Bear Claw» ou encore «Beaver Cage» ont été menées lors de la Guerre du Vietnam).
Les noms peuvent également refléter de manière plus allégorique, et parfois sinistre, l'opération à laquelle ils se réfèrent. Le bombardement stratégique de Hambourg par les forces américaines et britanniques pendant l'été 1943 avait pour but de détruire entièrement la ville: les Alliés le baptisèrent Opération Gomorrhe, du nom de la ville détruite dans la bible par une «pluie de feu» venant de Dieu. Un nom qui n'est pas sans rappeller celui de l'offensive israélienne dans la bande de Gaza en 2009, l'opération Plomb Durci. Les autorités israéliennes avaient choisi de faire référence à un poème traditionnel de la fête d'Hanoukka, la fête juive des Lumières. Le jour du début des frappes aériennes israéliennes, était le sixième des huits jours de cette célébration.
Les références bibliques et religieuses sont fréquentes dans les noms d'opérations militaires du Proche et Moyen-Orient. Les manouvres de tirs de missiles iraniens sont ainsi appelées «Grand Prophète» (la troisième du nom a eu lieu en juillet 2009).
Israël n'est pas en reste dans les noms religieux (opérations Moïse et Salomon), mais s'est récemment mis aux noms de saisons: Pluie d'été puis Nuages d'automne à Gaza en 2006, Hiver chaud en février 2008.
Coalitions
Avec la multiplication des opérations impliquant plusieurs pays, la même campagne peut prendre un nom différent chez chacun des alliées qui y participent. Pour des raisons pratiques, les déploiements des forces opérationnelles de l'Union européenne commencent tous par EUFOR suivi de la région géographique où ils ont lieu (EUFOR RD Congo, EUFOR Tchad...). Mais la participation française à ces opérations prend un nom propre: celle de la France à l'EUFOR RD Congo s'appelle l'opération Benga.
L'invasion de l'Irak de 2003 est appelée «Operation Iraqi Freedom» (Libération de l'Irak) aux Etats-Unis et «Operation Telic» au Royaume-Uni. La première guerre du Golfe est plus connue sous le nom américain de Desert Storm, mais l'opération britannique s'appelait Granby, Daguet pour la française, ou encore Tempesta nel Deserto pour le contingent italien (traduction littérale du titre original).