Dans la rue, rien ne va plus. Ironie de l'histoire : ce ne sont pas les appels au «changement de système» de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie qui tarabustent aujourd’hui le pouvoir algérien, mais… les étudiants, les garde-communaux, les chômeurs, ou encore les cheminots. La grogne sociale a non seulement gagné en puissance mais s’est propagée dans tout le pays. Tour d’horizon de cette contestation à suivre de près…
LES ETUDIANTS
C’est le mouvement le plus généralisé (les universités bougent depuis début février) et le mieux organisé puisque les collectifs de huit universités algériennes - Béjaïa, Sétif, Tizi Ouzou, Boumerdès, Alger et Mostaganem - se sont fédérés en Coordination nationale autonomes des étudiants. Pour Farid Cherbal, enseignant et syndicaliste, ce mouvement est «le plus large qu’a connu l’université algérienne depuis 1987». La nouvelle Coordination appelle à un sit-in devant tout les rectorats des universités le mercredi 9 mars et à une journée de grève et de marche dans plusieurs wilayas le lundi 14 mars.
Que veulent-ils ? Ils demandaient au départ l’abrogation d’un décret présidentiel voulant aligner les diplômes de l’ancien système (magisters) avec les masters issus du LMD ; le maintien du diplôme d’ingénieur des universités et l’alignement de ces diplômés sur les masters, tous les deux des bac+5. Aujourd’hui, les revendications se sont élargies et diversifiées selon les régions. La Coordination est donc en train d’étudier une plate-forme commune à toutes les universités.
Que dit le gouvernement ? Le Conseil des ministres a abrogé le décret présidentiel, maintenu le diplôme d’ingénieur mais n’a pas autorisé l’alignement avec les masters. «Une commission chargée d’établir les équivalences a été mise en place par le ministère, explique une enseignante de l’université de Blida, et des propositions affluent des universités et des écoles. On attend une réponse pour le 27 mars, quand tout le monde sera en vacances…»
En quoi sont-ils en mesure de déstabiliser le pouvoir ? Il y a déjà eu des affrontements entre les forces de police et les étudiants qui n’hésiteront pas à radicaliser le mouvement. Selon les universités, ils ont été rejoints par les enseignants. Et les déclarations du recteur de l’université d’Alger, hier sur une chaîne de télévision nationale, selon lesquelles il n’y a pas de différence entre le magister et le master, pourrait les agacer un peu plus. «L’erreur émane clairement du ministère, poursuit l’enseignante chercheuse de Blida. S’il est vrai que l’Algérie ne peut se soustraire aux systèmes qui s’appliquent à l’échelle mondiale, elle aurait pu temporiser.»
LES GARDES COMMUNAUX
Ils sont environ 100.000 dans tout le pays, mais plus que leur nombre, c’est leur charge symbolique qui est importante. Car ces paramilitaires ont été recrutés dans les années 90 pour lutter contre le terrorisme et certains ont été tués ou sont encore blessés. Ils se font entendre depuis un mois, d’Annaba à Sidi Bel Abbès en passant par Alger où ils ont manifesté ce lundi 7 mars.
Que veulent-ils ? Ils rejettent le plan de redéploiement prévu par le gouvernement et le nouveau statut d’agent de sécurité qui leur a été proposé. Ils se disent «marginalisés après avoir protégé la population». Certains ont carrément été mis à la retraite avec une pension d’environ 100 euros, d’autres ont été orientés vers des entreprises publiques avec un salaire inférieur à celui qu’ils percevaient et avec un contrat moins avantageux. Ils réclament un statut avec, entre autres, des indemnités pour les services rendus durant la décennie noire, une retraite anticipée et une prise en charge de victimes du terrorisme, une augmentation des salaires.
Que dit le gouvernement ? Le programme de redéploiement de la garde communal a été officiellement gelé le 20 février dernier. Daho Ould Kablia, le ministre de l’Intérieur, a reçu leurs représentants le jeudi 3 mars. «Je dois dire toute notre reconnaissance et notre gratitude pour le travail gigantesque qui a été fait par ce corps pour protéger le pays et d’être à l’avant-garde de la lutte contre le terrorisme», a-t-il déclaré. La loi de finances 2010 prévoit un fonds spécial pour accompagner le processus de dissolution du corps dont une partie sera affectée au ministère de la Défense.
En quoi sont-ils en mesure de déstabiliser le pouvoir ? Le gel du redéploiement ne les a pas convaincus, pas plus que la rencontre avec le ministre. Ils se disent prêts à radicaliser leur mouvement. «Mais il y a fort à parier que le gouvernement les laisse tomber comme il a laissé tomber les patriotes, souligne un journaliste de Chlef, à l'ouest d'Alger. Dans une wilaya comme la nôtre, où il y avait dans les années 90 quelque 5.000 patriotes et 3.000 gardes communaux, ils ont pourtant joué un rôle capital. Certains sont aujourd'hui invalides, avec une famille à charge et ne touchent qu'une pension d'environ 70 euros...»
LES CHÔMEURS
Depuis fin janvier, date de sa création, le Collectif national pour la défense des droits des chômeurs, a appelé à plusieurs rassemblements. Il annonce une manifestation le 20 mars prochain, à Alger, où sont attendus des chômeurs de tout le pays, y compris du Sud (zones pétrolières) où le mouvement est le plus dur.
Que veulent-ils ? Un travail décent, une allocation chômage à hauteur de 50% du salaire minimum (qui est de 150 euros environ), la permanisation de tous les contractuels des dispositifs d’aide à l’emploi et de tous les travailleurs précaires, l’ouverture de nouveaux postes budgétaires dans tous les secteurs, notamment dans la Fonction publique, l’interdiction des licenciements économiques et la suppression du service militaire pour les jeunes de 25 ans, la baisse de la durée du service militaire à 6 mois.
Que dit le gouvernement ? «À part les mesures qui ont été annoncées en Conseil des ministres, et qui ne correspondent pas aux aspirations des chômeurs, pour l’instant, le pouvoir ne nous a adressé aucun message», assure Samir Laribi, porte-parole de la Coordination.
En quoi sont-ils en mesure de déstabiliser le pouvoir ? Le chômage (10% de la population) touche surtout les jeunes -21% des 16-24 ans d’après les chiffres officiels, plus de 70% des 16-29 ans selon certains sociologues- et les diplômés de l’enseignement supérieur (à plus de 20%). Or ceux sont eux qui sont les plus mobilisés, tous mouvements confondus. Par ailleurs, comme l’explique le syndicaliste Yacine Zaid, «C’est la première fois que les chômeurs arrivent à se structurer pour réclamer leurs droits. Et ils sont en train de mener un véritable travail de proximité dans toutes les régions.»